Sous le cadrage régulateur de ma collègue députée Sophie Errante, la table ronde « Pour un nouveau pacte social » aura eu deux intervenants dont les propos auront interpellé et suscité des réflexions qui ne manquent pas de pertinences.
> Ainsi, Bruno Palier, du CNRS aura mis l’accent sur « l’investissement social » et sur le rôle pivot qu’a joué le salariat dans la construction et l’équilibre de notre modèle social, mais est-il encore pertinent qu’il en soit ainsi ? Après avoir rappelé que les Français font confiance à leur protection sociale, il souligne que celle-ci « vise à fournir un revenu quand on ne peut plus travailler », et c’est le postulat de son fondement : « d’abord je travaille, je cotise, puis si problème j’aurai un revenu ! ». De fait, « cela repose sur le schéma du plein-emploi, surtout masculin », et cela s’est « progressivement évaporé » !
Dès lors, l’idée de l’investissement social, c’est de donner à tout le monde les moyens de travailler, et ce doit être l’objet des politiques sociales : créer du capital humain et le renouveler tout au long de la vie. En effet, si vous n’êtes pas qualifiés, vous êtes sûrs de ne pas avoir un emploi stable (seulement 48 % des non-diplômés ont un emploi en Europe !). Ne pas avoir de qualification ou des qualifications obsolètes, c’est un risque social. Que faire ? Agir tout au long de la vie (petite enfance, école, jeunesse).
Un enjeu économique majeur est la désindustrialisation et l’angoisse chez tous ceux qui occupaient un emploi industriel. D’où l’intérêt de parier sur les «emplois d’investissement social », car il y a une « productivité collective de ces emplois », tels les services à la personne, encore souvent féminins, mais qui vont durer, et qui, à tort, sont encore trop souvent dits « non qualifiés ».
Autre observation : « notre protection sociale s’acquiert pleinement si on est salarié ». Voilà pourquoi « quand on parle souplesse, les gens comprennent précarité ! » Alors que la question c’est « peut-on concilier souplesse et sécurité ? Tant que la plupart des droits sont liés au salariat, les gens vont s’accrocher au salariat. Demain, il faut lever la peur chez les salariés, et déconnecter les droits sociaux du statut de salarié. Ainsi le compte personnel d’activité est une révolution potentielle ».
> Le second intervenant, le sociologue Jean Viard, a aimé davantage décoiffer encore par des questionnements, avec un thème majeur : « on est entré dans une société discontinue, et on continue à vouloir la gérer en continuité » (parmi nombre d’exemples, sait-on que 55 % des enfants naissent hors mariage ? Ne serait-il pas temps que le droit de la réversion soit adapté ?), « La société évolue tellement vite, que tout le monde a peur ».
« La vie privée des gens a complétement changé dans sa structure ». Et dans un monde où il y a 3 milliards de personnes connectées à Internet, il faut savoir relativiser : l’Europe, c’est 7 % de la population mondiale, 25 % de la masse salariale, mais 50 % des droits sociaux ! La part de la vie consacrée aujourd’hui en France au Travail c’est 12 % de la vie ; c’était 40 % en 1995 et 75 % sous Napoléon ! Ce qui veut dire que 88 % du temps des électeurs n’est pas consacré au travail !
« On est dans une société « collaborative » où l’usage prime sur la propriété ». « Ceux qui sont élevés hors du cœur de nos métropoles ne s’en sortiront pas ! ».
Le monde, la vie ont changé. « Il faut concevoir un nouveau modèle de protection sociale » (adapté à ces changements), et « si ce n’est pas la gauche qui le dit, qui va le faire ? ».
Quand on lit les études d’opinion, ce qui est frappant, et quand on pousse un peu la discussion avec l’interrogé, « le discours c’est « moi ça va, mais la société s’effondre » ! « La vie des gens s’est organisée autour du bonheur privé ». Et Jean Viard de marteler deux constats :
- « on est dans un monde d’usage, pas d’objet » : la clé n’est donc pas de favoriser l’accession à un bien ou sa propriété, mais de faciliter la vie des électeurs et donc l’accès à des services ;
- « les retraités sont au cœur du fonctionnement social » (50 % des Conseillers départementaux sont des retraités !), dans les conseils municipaux, les associations, les structures de quartiers,… comment voulez-vous que ce qui se décide ou se fait tienne donc suffisamment compte des besoins de la vie quotidienne des actifs ?
Et il conclut : « le mythe de la gauche qui veut retourner vers le fordisme nous conduit vers le fascisme » (« l’essentiel des ouvriers blancs votent FN ! ». Qui ne voit pas les liaisons entre des militants CGT et le FN ?). « Il faut regarder la société telle qu’elle est », et non pas avec ses anciens schémas. Aujourd’hui « l’écart entre un jeune de banlieue et un paysan de Corrèze n’a plus rien à voir avec ce qu’il était il y a 20 ou 30 ans ».
La question, c’est « quelle offre politique ont leur fait ? » La gauche sociale-démocrate doit impérativement intégrer et savoir gérer la société collaborative, ce qu’elle n’a pas encore su faire.
Nos populations ont peur, ont des « inquiétudes sur le sens du monde ». Ces peurs, on les trouve chez les pays « anciens dominants », nations européennes anciennes colonisatrices… comme la France.