31 août 2020
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L’avantage de prendre quelques jours de vacances, c’est que cela permet de faire ce que l’on n’a pas (toujours) le temps de faire le reste de l’année, et notamment de lire ce qu’on ne prend pas le temps de lire lorsque les dossiers à rédiger et à étudier se succèdent aux dossiers. Cet été pour moi, deux romans policiers (j’attends les nouvelles aventures de l’inspecteur roubaisien Franck Malmaison, de mon ami Luc Watteau, avec impatience), un ouvrage historique de Max Gallo sur « La chute de l’Empire romain », et un ouvrage de mon ami, l’économiste Patrick Artus « Discipliner la finance ». La discipliner pour la réguler, et la mettre au service de l’économie réelle.
D’entrée, l’auteur pointe qu’avec 400 000 Mds $ la finance pèse bien plus que les 90 000 Mds $ de l’économie réelle, et que l’accroissement de ce poids de la finance augmente le risque de crise. De fait, sur les périodes récentes, ce sont des chocs financiers qui (jusqu’à la récente pandémie du Covid) ont conduit aux dérèglements de l’économie réelle. La globalisation de l’économie réelle s’est, elle, arrêtée ces dernières décennies, une globalisation qui, comme le rappelle l’auteur, « a transféré des productions des pays développés vers les pays émergents, et en particulier elle y a réduit l’emploi industriel », et « a soutenu la croissance de la classe moyenne dans les pays émergents au détriment de la classe moyenne des pays développés ».
Aujourd’hui, la poussée de la finance inquiète, car nombre d’auteurs ont souligné combien « on ne sort jamais de l’excès d’endettement par la croissance mais par le défaut (la faillite des Etats) ou par l’inflation ». Depuis plus de 10 ans, les encours de crédit et d’obligations mondiaux continuent de progresser (surtout en Chine et dans les pays émergents) : 10 % de l’épargne privée du monde finance les déficits publics.
Pourquoi la finance ne cesse-t-elle de grandir ? Les causes en sont multiples. D’abord, l’excès de demande des épargnants mondiaux pour des actifs sans risque, ce qui canalise l’épargne vers les dettes publiques des pays de l’OCDE (à commencer par les Etats-Unis qui s’endettent auprès du reste du monde : de fait la plus grande partie des réserves de change des banques centrales – 62,5 % exactement – est détenue en dollars !). Ensuite, une dérive du système qui veut que croît l’endettement des entreprises tandis qu’elles réduisent leur financement par actions. Également, des politiques monétaires constamment expansionnistes depuis 20 ans, de sorte que les banques centrales ont laissé se développer l’endettement, et n’ont pas lutté contre la hausse des prix des actifs. Enfin, les contrôles restrictifs sur les sorties de capitaux en Chine et nombre de pays émergents, où, avec des taux anormalement bas, le financement des investissements se fait par la dette.
Et de fait, si les crises du passé (années 70 et 80) étaient liées à l’inflation et aux politiques monétaires (avec l’arbitrage bien connue de la Courbe de Phillips entre taux de chômage et croissance des salaires, et donc inflation), depuis les années 90 les crises sont surtout financières, soit liées à des sorties brutales de capitaux (qui enclenchent des dépréciations de taux de change et donc de la récession) dans les pays émergents, soit ailleurs à l’interaction entre l’endettement et le prix des actifs (marchés d’actions, immobilier,…) : le lien entre endettement et crises financières est bien établi. Et avec la globalisation financière, une crise locale se propage, en se transformant en une crise globale, car avec des dettes qui deviennent mondiales, dans leur volume comme dans leur financement, la globalisation corrèle les marchés financiers des différentes régions du monde.
Aussi, dans un monde où il y a une forte variabilité des flux de capitaux, des tendances aux mouvements conjoints du prix des actifs et des primes de risques, d’où peut venir la prochaine crise ? L’auteur examine plusieurs déclencheurs possibles, pour mieux les réprouver. Ainsi, il estime peu probable que la crise provienne :
- de la dette privée des pays de l’OCDE, car la régulation des banques (exigences de fonds propres et de détention d’actifs sans risques et liquides, réduction des activités à risques) est devenue plus sévère ;
- de la dette publique de la zone euro (tout du moins tant que les politiques monétaires maintiendront des taux d’intérêt inférieurs aux taux de croissance) ;
- de l’endettement de la Chine (le taux d’épargne y est élevé et il y a contrôle des capitaux) ;
- de crises des pays émergents (car ils ne représentent que 6 % de l’encours de crédit mondial).
En revanche, compte tenu du niveau global très élevé de l’endettement, Patrick ARTUS pointe un facteur de risque majeur (je partage complètement son analyse sur ce point) : le niveau des taux d’intérêt ! Il estime ainsi « central » de maintenir des taux d’intérêt inférieurs au taux de croissance, car, à l’inverse, le passage des taux d’intérêt au-dessus des taux de croissance serait « un choc très grave » qui « ferait disparaitre la solvabilité des emprunteurs ». Aussi, en tire-t-il la conclusion que « tant que les taux d’intérêt réels à long terme sont faibles par rapport à la croissance, une crise de la dette est peu probable ».
Mais pas de crise de la dette, ne signifie pas absence de toute crise financière ; et pour éviter la survenance de celle-ci, l’auteur préconise donc de « discipliner la finance ». Comment ? Par plusieurs voies qui, malheureusement, ne sont pas toutes aisées à mettre en œuvre :
1) Sortir des politiques monétaires ultra-expansionnistes, et les remplacer par des politiques « Leaning Against the Wind » (tout en écartant des chocs brutaux de taux d’intérêt) jointes à des politiques macroprudentielles ;
2) Réhabiliter le contrôle des capitaux, qui peut être efficace en réduisant le caractère procyclique des flux de capitaux, notamment et surtout dans les pays émergents. En créant des obstacles aux capitaux à Court Terme spéculatifs, on régule les flux de capitaux.
3) Privilégier les financements à Long Terme stables, car il est clair que le développement d’instruments financiers très liquides a accrû le caractère erratique des flux de capitaux. Pour mettre de l’ordre, il faut créer de la stabilité.
Mais, évidemment, pour mettre en profondeur de l’ordre dans la finance mondiale, la clé majeure se trouve aux Etats-Unis, et dans l’idée que ceux -ci renoncent à leurs déficits (public et extérieur) qu’ils mènent depuis les années 70, et ainsi qu’ils renoncent à exploiter le rôle de monnaie de réserve du dollar (qui est le sien depuis la fin des accords de Bretton-Woods en 1971 et l’explosion du Système Monétaire International).
J’ajoute qu’un instrument de stabilité mondiale serait le développement d’une autre monnaie de réserve que le dollar : malheureusement, l’Europe est encore un nain monétaire par rapport aux Etats-Unis, puisque, fut-il 2ème monnaie mondiale, l’euro ne représente que 20 % des réserves de change des banques centrales (3 fois moins que le dollar !) ! La route est donc longue pour construire une stabilité monétaire plus forte, et une solution passe sans doute par un Euro plus lui-même plus fort : dommage que les européens ne font pas tout pour cela, et qu’eux-mêmes n’en comprennent pas, loin s’en faut, l’enjeu…