Hier, Francine LANGEVIN et moi proposions à toutes les personnes intéressées une réunion publique, salle Jacques-Brel à Croix, sur les questions de santé qui se posent dans notre société. Nous avions convié, pour enrichir le débat, un spécialiste de ces questions : Jean-Marie LE GUEN, Député socialiste de Paris, Médecin, Membre du Haut Conseil de l’Assurance Maladie, et je dois dire que cette réunion nous a franchement ravi : la salle était pleine, et les échanges furent nombreux et très intéressants.
Beaucoup de participants m'ont confié qu'ils avaient trouvé le moment tout à fait instructif et passionnant.
Je suis d'autant plus content de cette affluence et de cet intérêt que Francine et moi avons la conviction que le devenir de la santé, de la protection sociale, les questions que pose le vieillissement de la population - qui font partie des grands problèmes, parmi les plus fondamentaux qui soient - sont trop sous-estimés, beaucoup trop. On en parle peu, bien trop peu.
Car enfin, du point de vue politique, dans une grande puissance économique comme la France, qui est la 4ème ou la 5ème puissance mondiale, et en ce début du XXIème siècle, n’est-ce pas une priorité essentielle, absolue de permettre à chacun de pouvoir accéder aux soins, au droit à se soigner ? Est-il acceptable qu’en 2007, 13 % de la population renonce déjà à se soigner pour des raisons financières ?
Et du point de vue financier, est-il envisageable de continuer de ne pas voir que la protection sociale a un coût, dont nul ne peut assurément dire qu’il est correctement réparti, que ce soit du point de vue de l’efficacité économique autant que du point de vue de la solidarité intra comme inter-générationnelle ?
Et surtout, a-t-on aussi bien conscience que dans notre société, on vit de plus en plus vieux (et c’est tant mieux) mais qu’en France, le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans va augmenter de 60 % d’ici à 2030 ? Sait-on aussi que la société n’a pas encore vraiment compris, ni préparé ce que seront les conséquences de ce vieillissement, que ce soit dans l’offre de soins ou dans l’adaptation des structures d’accueil, ou plus simplement dans l’adaptation des conditions de la vie quotidienne ?
Trois questions que je pose, que vous vous posez, et qui sont au cœur d’un projet qui veut préparer l’avenir.
J’ai voulu cadrer le débat en évoquant, en quelques clichés, la situation. Les Français ont le sentiment que la santé va mal, qu’est-ce que cela signifie ? 3 choses surtout :
1er élément : un état des indicateurs de santé particulièrement médiocre dans le Nord. De grandes enquêtes ont été publiées ces derniers mois qui soulignent le mauvais état de santé « moyen » des Nordistes. Taux de mortalité supérieur à la moyenne nationale, espérance de vie plus courte ici qu’ailleurs, risques de certains cancers plus tôt et surtout plus nombreux qu’ailleurs (cancer du sein : + 32 %, cancer du poumon : + 22 %, voies digestives : + 81 %), exposition à des risques industriels (je pense à l’amiante en particulier) plus grande ici qu’ailleurs, et avec un taux de suicides supérieur de + 25 % par rapport à la moyenne nationale.
Et la conclusion de ces enquêtes est brutale : ici on est en moins bonne santé, mais aussi on a plutôt tendance à se soigner moins et moins bien. Peut-on s’en satisfaire, faut-il s’y résigner ? Non, bien sûr. Pour ma part, moi, je m’y refuse.
2ème élément : la situation des comptes sociaux. Certes l’équilibre de la Sécurité Sociale a toujours été délicat dans ce pays. Compte tenu des déficits considérables à l’époque, en 1995, Alain JUPPE avait même créé la CADES pour prendre en charge la dette cumulée et la reporter, au prix d’emprunts, sur les générations suivantes. De 1997 à 2002, notamment sous l’effet de la croissance économique, les comptes se sont rétablis : en 2002, je ne l’oublie pas, la Sécurité Sociale était globalement équilibrée. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : le déficit prévisionnel du régime général est de – 8 milliards d'€ en 2007.
Et au sein de la Sécurité Sociale, l’assurance maladie est particulièrement touchée : le déficit est de 4 milliards d'€.
Rappelons que les dépenses d’assurance-maladie, ce sont 144,8 milliards d'€, dont 65,8 M€ pour les établissements de santé.
Alors pour rétablir les comptes, on annonce – encore ces jours-ci – des mesures de redressement… pour après les élections législatives ! Mais la question qui se pose est claire : qui va payer ? On parle de « franchise », c’est-à-dire moins de remboursements de soins : pour qui, comment, combien ? Cela devrait être au cœur des élections législatives.
3ème élément : la grave situation financière de l’hôpital public
Des moyens financiers importants avaient été dégagés entre 1997 et 2002 par le Gouvernement de Lionel JOSPIN avec la mise en place d’une politique de péréquation pour le financement des hôpitaux du Nord-Pas-de-Calais. Cette politique a été abandonnée dès 2002, et par suite d’autres réformes intervenues surtout en 2004, les comptes de nos hôpitaux ont été gravement touchés.
Aujourd’hui, en France, deux tiers des hôpitaux publics sont en déficit. Les trois quarts des Centres Hospitaliers Universitaires le sont, et leur déficit cumulé est de 240 M €.
Ici, les chiffres sont inquiétants, voire dramatiques. En 2006, 950.000 € de déficit pour l’hôpital de Wattrelos, 2,4 M € pour celui de Roubaix, 5,0 M € pour celui de Tourcoing, et malheureusement, je peux continuer la liste : 3,0 M € pour Armentières, 5,2 pour Arras, 3,7 pour Béthune, 13,7 M € pour Lens, 10,4 pour Lille, 1,6 M € pour Seclin, et 6,1 M € pour Valenciennes. Au total, à fin 2006, la différence entre les recettes et les dépenses de nos hôpitaux publics est de 53,6 M € pour toute la région Nord-Pas-de-Calais.
Pour la France entière, le trou est de 750 M € !
Ce chiffre n’est repris nulle part dans la comptabilité publique. Il est soigneusement caché par nos dirigeants. Mais il fait peur, et pour tout dire, il m’inquiète.
C’est dire si la santé, les conditions d’accès aux soins sont un enjeu de taille. Je trouve qu’on n’en parle pas assez dans cette campagne, où d’aucuns semblent privilégier l’entretien d’une certaine confusion politique, plutôt que de traiter les vrais sujets de fond. Si on veut maintenir un accès aux soins pour toute la population, il faut afficher une vraie priorité politique et financière pour l’hôpital public. Pour ma part, je ferai tout pour cela.
Jean-Marie Le Guen, pour sa part, a rappelé que la question de la protection, du vieillissement, et plus généralement de la santé est au cœur du quotidien de chacun. Cependant certaines régions sont en retard. Il existe des inégalités flagrantes, anciennes, héritées des conditions de travail – disons même de l’exploitation – des travailleurs des XIXème et XXème siècles : des femmes et des hommes usés et n’ayant pas accès à la santé. Et notre région, le Nord – Pas-de-Calais, notre département du Nord et nos communes reflètent cette situation.
« Ce n’est qu’après la deuxième guerre mondiale, grâce à la Gauche, qu’en France un système de soins pour tous a pu voir le jour, a précisé Jean-Marie Le Guen.
Aujourd’hui, ce système de soins connaît beaucoup de difficultés, notamment les hôpitaux publics qui constituent le pilier de cet accès aux soins. Les chiffres désastreux évoqués par Dominique Baert ne doivent pas faire oublier que les déficits de la Sécurité sociale n’ont pas toujours existé et que oui, pendant 5 années, sous le gouvernement de Lionel Jospin, les comptes de la Sécurité sociale étaient globalement équilibrés. »
Alors aujourd’hui, comment agir ? J.-M. Le Guen propose judicieusement de mettre l’accent sur la prévention. « Cette prévention est primordiale et elle doit être généralisée. Il faut pour cela une médecine du travail indépendante et que les moyens soient donnés à l’administration pour mener à bien sa mission.
Ainsi, aujourd’hui près d’un tiers des cancers est causé par des pathologies liées au travail (conditions de travail, exposition à des produits comme l’amiante, etc.).
L’entreprise devrait être un lieu d’éducation à la santé ; certaines en ont compris l’utilité car il en va de l’intérêt de chacun, salariés comme dirigeants. »
Jean-Marie Le Guen est sensible spécifiquement à la problématique de l’alimentation. Il n’a pas manqué de rappeler que l’obésité sera le problème du XXIème siècle (en France, 13% de la population est en surpoids et on se dirige vers une situation comparable à celle des Etats-Unis). Car une nouvelle fois, la question de l’alimentation, de l’accès à cette éducation par la nourriture connaît une grande inégalité. « Ce problème est socialement situé, les plus pauvres ayant moins la possibilité d’accéder à ces informations. A ce sujet, je propose d’interdire la publicité pour certains produits dans les émissions destinées à la jeunesse. Il faut adopter une attitude plus dynamique envers les enfants, notamment ceux qui se situent sous le seuil de pauvreté. Ce sont ces enfants, au nombre de deux millions, qui ayant moins facilement accès aux soins, vont négliger et dégrader leur santé. A titre d’exemple, la différence d’espérance de vie entre un enfant obèse aujourd’hui et son camarade de classe en bonne santé est de 13 ans !
De l’autre coté de la chaîne de la vie, la prévention des conséquences du vieillissement est important, afin de permettre de gagner des années de vie. On gagne aujourd’hui en France un trimestre d’espérance de vie chaque année et un enfant sur deux qui naît aujourd’hui sera centenaire ! »
L’invité du jour termina son intervention en rappelant l’importance de la prévention dans un système hyper-soignant qu’est le système français.
La santé n’est pas un fardeau mais un investissement, et c’est solidairement que l’on règlera cette question.