Cet après-midi députés et sénateurs étaient appelés à voter sur le projet de révision de la Constitution.
Ce vote, en quoi consistait-il ? Les résultats en attesteront : c'est un texte obtenu davantage à coups de négociations - voire de marchandages - entre la Droite de l'Assemblée nationale et la Droite du Sénat, entre le Président de la République et sa majorité... sans vraiment prendre en considération les propositions faites au cours des longs débats par la Gauche, et sans aboutir donc à une amélioration suffisante des droits des citoyens. Les promesses de la majorité, faites par voie de presse, une fois la discussion parlementaire terminée, et après avoir systématiquement rejeté nos propositions, ne doivent pas faire illusion.
Avec mes amis socialistes, depuis le début de la procédure de révision, nous avons fait - et répété - au moins 5 propositions pour une démocratie modernisée, équilibrée et transparente :
l ne pas augmenter les prérogatives présidentielles : le Président de la République tient absolument à venir s'exprimer devant la représentation nationale. C'est ce que prévoit le texte. Mais nous ne pourrons débattre en sa présence et il n'y aura pas de vote! Cela s'apparente plus à une mise sous tutelle - ou sous pression - du Parlement qu'à une amélioration du dialogue entre institutions. De surcroît, le rôle du Premier Ministre en est évidemment considérablement affaibli.
l l'élargissement des droits du Parlement. Cela passe par un meilleur contrôle des nominations faites par le Président de la République : certes, la Constitution révisée prévoit que le Président ne peut désigner la personnalité envisagée lorsque les deux commissions parlementaires permanentes compétentes s'y opposent à la majorité des trois cinquièmes. De fait, ce dispositif n'est ni révolutionnaire ni très contraignant pour le Président (car avec 3/5e, cela suppose que la majorité vote contre : impossible!). Le Parlement n'en sortira pas renforcé.
l le pluralisme dans les médias : aucune garantie véritable n'est proposée par le Gouvernement et sa majorité, alors que le Président est omniprésent et que l'Opposition ne dispose que d'un reliquat de temps pour faire connaître à nos concitoyens ses analyses en matière économique et sociale, ainsi que ses propositions. Par exemple, ont-ils eu connaissance des propositions socialistes faites en matière de logement ou de lutte contre les discriminations ? La Droite a également purement et simplement refusé d'examiner notre proposition de loi en matière de pluralisme de temps dans les médias audiovisuels !
l la réforme des modes de scrutin, notamment du scrutin sénatorial : il ne s'agit pas pour la Gauche d'obtenir un plus grand nombre de sénateurs. Il s'agit légitimement, à côté d'une dose de proportionnelle qui serait introduite pour le scrutin législatif, que le Sénat représente plus justement le vote des électeurs. Et puis comment aujourd'hui concevoir une assemblée parlementaire définitivement confisquée par une même famille politique, de façon complètement déconnectée du suffrage des Français ! La démocratie française ne peut pas rester ainsi arc-boutée sur des principes peu démocratiques.
l la reconnaissance du vote des étrangers non communautaires aux élections locales : le Président de la République se dit lui aussi favorable à cette mesure... mais sa majorité la refuse. Ne saurait-il pas toujours convaincre sa majorité ?
En plus de ces manques ou ces insuffisances, le texte est insatisfaisant, incomplet et peut comporter des effets pervers. Un exemple : les droits des citoyens que le Gouvernement prétend renforcer :
- la saisine du Conseil constitutionnel par un justiciable est en réalité fortement encadrée, puisqu'elle devra se faire à l'occasion d'un procès et par l'intermédiaire d'un juge !
- le référendum d'initiative populaire est, lui, lourdement conditionné : il nécessitera de rassembler un cinquième des membres du Parlement (soit 90 !), soutenue par un dixième des électeurs (soit 4 millions !). Ce droit nouveau s'annonce difficile à mettre en oeuvre !
- le Défenseur des droits, mis à part son entrée dans la Constitution, saura-t-il apporter plus de garantie des libertés que le Médiateur de la République ou la CNIL ? C'est bien sûr la pratique qui en décidera.
Durant toute la procédure législative, avec mes collègues socialistes nous sommes restés cohérents, ouverts à la discussion, faisant oeuvre de propositions. Pour autant, après quelques timides avancées (notamment de François Fillon), nous avons eu le sentiment que la Droite était davantage soucieuse de faire taire les voix critiques dans ses propres rangs (et surtout de rapprocher Droite du Sénat et Droite de l'Assemblée), que de nous écouter. Il est vrai que la campagne à venir pour la Présidence du Sénat en septembre a rendu plus délicates les choses, même si la perspective des listes et investitures sénatoriales de septembre prochain ont considérablement aidé des « brebis » égarées (ou en proie au doute) à rentrer au bercail du soutien à la réforme constitutionnelle.
Et quand le Gouvernement - surtout le Président - a compris que s'il réunissait les siens et travaillait à quelques débauchages individuels, il n'avait plus besoin des voix de la Gauche pour faire passer sa réforme, il n'y a plus eu d'écoute, de recherche d'accord, ni de compromis de sa part.
C'est regrettable, car pour ma part, si je ne rejette pas tout du contenu de la réforme (quoique j'en dénonce ses faux-semblants et ses illusions), je ne peux pas accepter qu'aucune avancée n'ait été faite par la Majorité sur la base des propositions claires formulées par l'Opposition. Nous ne nous attendions pas, bien sûr, à ce qu'elles soient toutes reprises ; mais qu'aucune ne soit prise en considération, c'est un déni de démocratie, c'est du mépris.
Voilà pourquoi je vote contre cet après-midi. Alors que j'aurais rêvé d'une constitution rénovée, pour une démocratie apaisée et partagée, assise sur un Parlement qui contrôle vraiment et légifère sereinement, soucieuse des droits de l'opposition, respectueuse des citoyens.
Ce Congrès est celui d'une occasion ratée...