Ce matin, la Commission des Finances commence une série d'auditions destinée à faire le point sur la décision d'arbitrage qui a permis d'accorder à Bernard Tapie plusieurs centaines de millions d'indemnités dans le contentieux qui l'oppose, depuis 15 ans maintenant, au Crédit Lyonnais.
En tant que citoyen, cette décision, tombée au cœur de l'été, me choque compte tenu des chiffres en cause mais aussi des doutes qui s'expriment sur l'impartialité de l'Etat, et notamment sur le copinage dont pourrait avoir bénéficié B. Tapie dans cette décision qui lui est, étrangement, extrêmement favorable ! Mais en tant que député, comme mes collègues de la commission des finances, je n'ai qu'une obsession : savoir si le choix du Gouvernement de recourir à un arbitrage était légal, et si les intérêts de l'Etat et des contribuables n'ont pas été lésés dans cette affaire.
Nous avons conduit ce mercredi 3 septembre plusieurs auditions (10 heures quasiment non-stop aujourd'hui). Je reviens d'abord sur celle de mon collègue Charles de Courson (Nouveau Centre).
Ch. de Courson représente l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'EPFR, établissement public responsable de la surveillance du CDR, organisme en charge de la gestion du passif du Crédit Lyonnais. A la demande de la Commission des Finances, il a rédigé un rapport d'information. Il nous le présente, répondant à certaines questions.
Fallait-il recourir à l'arbitrage ?
Depuis le 30 novembre 1994, date de la mise en redressement judiciaire de toutes les sociétés du groupe Bernard Tapie, bon nombre de décisions de justice ont été rendues. En 2004, à la demande des mandataires liquidateurs, une médiation avait été conduite par M. Jean-François Burgelin (ancien procureur général à la cour de cassation), ordonnée par la Cour d'Appel de Paris le 12 novembre 2004, et avait proposé une transaction sur la base de 140 millions €. Bernard Tapie a refusé ce montant.
Par un arrêt le 30 septembre 2005, la Cour d'Appel de Paris a condamné le CDR à payer aux mandataires liquidateurs de B. Tapie une indemnité de 135 M€. On est donc toujours sur les mêmes ordres de grandeur…
Or, réunie en assemblée plénière le 9 octobre 2006, la Cour de Cassation a cassé cette décision, estimant que « la responsabilité contractuelle du Crédit Lyonnais ne peut être engagée au titre de manquements dans l'exécution d'un mandat dont elle n'était pas partie ». Et donc l'Etat ne devait plus rien ! Alors pourquoi le Gouvernement a-t-il décidé de recourir à l'arbitrage en 2008 ?
C'est le cœur du débat politique !
Or, Ch. de Courson, dans son rapport, est très clair. Il écrit que le recours à l'arbitrage est « d'une légalité douteuse » (en vertu du statut légal de l'EPFR, et du principe constitutionnel selon lequel l'interdiction pour une personne publique de conclure un compromis d'arbitrage a valeur législative, ce qui suppose donc une loi pour engager la procédure… loi qui n'existe pas !). Et notre collègue d'estimer qu'il y a eu là « un détournement du Droit », et de souligner « le caractère illégal du recours à l'arbitrage ».
Le recours à l'arbitrage n'était pas utile pour l'intérêt de l'Etat.
En effet, comme l'écrit mon collègue, il n'est pas compréhensible « de recourir à l'arbitrage après cassation et renvoi devant une cour d'appel ; il semblerait même que ce soit un cas unique ». Et d'ajouter : « Pourquoi aller demander à des arbitres d'aller dire le Droit que vient de dire la Cour de Cassation et que s'apprêtent à dire à leur tour les juges de renvoi saisis après cassation ? ».
Nous sommes en effet, du point de vue de l'Etat, dans une situation paradoxale : il y a un processus juridique engagé dans lequel, depuis l'arrêt de la Cour de Cassation d'octobre 2006, l'Etat (via CDR Créances et le Crédit Lyonnais) se voit non condamné… et voilà l'Etat qui s'engage dans un arbitrage (qui lui fera payer plus de deux fois plus qu'il ne lui a jamais été réclamé !).
Incompréhensible !
« La victoire devant la Cour de Cassation justifiait de poursuivre la procédure », écrit de Courson. C'est ce que je pense aussi …
Derrière cet arbitrage, il y a une curieuse décision de l'Etat !
C'est en effet le Gouvernement qui a fait ce choix qui est si coûteux pour les finances publiques !
D'abord notons que, alors que la justice le blanchit, l'Etat décide de recourir à une procédure d'arbitrage ! Ainsi lors du Conseil d'Administration de l'EPFR du 10 octobre 2007, « les trois administrateurs représentant l'Etat ont indiqué avoir reçu instruction ministérielle de se prononcer en faveur de la proposition » de recours à l'arbitrage.
C'est bien sur instruction expresse du Ministre (cinq mois à peine après l'élection de N. Sarkozy !) qu'on engage cet arbitrage !
Et de surcroît, après que la sentence arbitrale du 7 juillet 2008 soit tombée, financièrement très lourde pour l'Etat, voilà que l'Etat… renonce à tout recours ! Là encore, lors du C.A. de l'EPFR du 28 juillet qui suit la sentence, les représentants de l'Etat disent avoir « reçu instruction du Ministère des Finances de voter en défaveur d'un recours en annulation » !
Comme quoi, c'est clair : la décision, tant sur l'opportunité que sur les montants de l'arrangement avec B. Tapie est politique, et donc de responsabilité politique (par décision de la Ministre de l'Economie… mais a-t-elle eu, elle, d'autres instructions ?).
Au total, pour B. Tapie, c'est un chèque (net) de 130 à 140 Millions € !
Le tribunal arbitral, dans sa sentence, condamne le CDR à verser 240 Millions € (hors intérêts) à GBT (Groupe Bernard Tapie), actualisés aux taux d'intérêt légal depuis le 30 novembre 1994 mandataires-liquidateurs de (soit de 100 à 110 Millions € supplémentaires !), et octroie une indemnisation à Bernard Tapie de 45 Millions € pour « préjudice moral » !
Ce qui signifie qu'au final, Ch. de Courson calcule qu'après déduction des dettes en cours de B. Tapie, du désintéressement de divers créanciers, du paiement des impôts (heureusement B. Tapie va bénéficier, pour ses impôts sur le revenu, du bouclier fiscal !), ce sont de 130 à 140 Millions € que B. Tapie va percevoir (ce que conteste l'intéressé).
A 65 ans, cela permet de voir venir…
A cette somme, devrait s'ajouter pour B. Tapie le retour en sa pleine possession de l'hôtel particulier de Cavoye (situé rue des Saints-Pères à Paris), estimé entre 25 et 30 millions €, puisque la créance hypothécaire qui le frappait tombe en cas de remboursement des dettes (!).
Un immeuble que l'intéressé a continué d'occuper sans loyers (et sans acquitter lui-même d'impôts locaux depuis 1994 !).
Ces chiffres donnent le tournis : ils sont sans commune mesure avec ceux qui ont pu être retenus dans des décisions judiciaires où la responsabilité de l'Etat a pu être mise en cause !
Tout cela va coûter plus de 400 millions d'€ à l'Etat ! Alors pourquoi le Gouvernement
a-t-il donné son accord à cela ? Oui, pourquoi ? C'est là qu'à mon sens, il y a bien UNE AFFAIRE TAPIE... et c'est UNE AFFAIRE D'ETAT.