Une deuxième loi de Finances Rectificative pour la Grèce.
Cet après-midi en commission, et surtout ce soir en séance, a été examinée une loi de finances rectificative pour 2010 (la 2e depuis le début de l'année !) un peu particulière. Elle acte la participation de la France au redressement de la Grèce. Le pays traverse en effet depuis déjà plusieurs semaines une véritable tourmente économique, en raison notamment de la crise financière internationale, laquelle a catalysé et fragilisé une situation interne déjà lourdement affectée par des difficultés structurelles.
Parce que nous évoluons dans un contexte où la libéralisation internationale des échanges et des capitaux est exacerbée, et encore trop peu régulée, d'aucuns n'hésitent pas à spéculer pour tirer parti d'un pays en position de faiblesse... Mais s'attaquer à la Grèce, c'est mettre à l'épreuve l'euro et de facto l'Europe en tant que construction politique. Si les marchés jouent, ce n'est pas contre la Grèce, c'est contre la construction européenne, n'en doutons pas.
Un plan de soutien de 110 milliards d'euros.
Aussi, il était urgent d'enrayer ce mouvement de fragilisation : après trop de temps et de tergiversations (à mon sens), les états membres de la zone euro, la Banque Centrale, la Commission et le FMI se sont accordés sur un plan d'aide à la Grèce.
Ce plan de soutien n'est pas une faveur accordée à la Grèce : c'est un dispositif qui, au besoin, peut être activé au bénéfice de tout pays membre de la zone euro.
Valable trois ans, ce plan de soutien va permettre à la Grèce de disposer de 110 milliards d'euros, dont 45 milliards dès la première année (le FMI contribuant à hauteur d'un tiers, les deux tiers restant venant des états membres de la zone euro). La France, comme les autres pays membres, se devait de prendre part à ce plan de soutien et de solidarité à l'égard de nos amis grecs : je n'ai pas d'états d'âme sur ce point.
Sous la forme de prêts bilatéraux.
C'est la solution des prêts bilatéraux accordés par chaque état de la zone euro qui a été retenue, à des taux évidemment inférieurs aux taux auxquels la Grèce emprunte actuellement, soit environ 5 % pour un prêt à taux fixe à 3 ans... même si cet argent prêté à la Grèce sera lui-même emprunté par les états... à un coût bien moindre !
Le projet de loi de finances rectificative qui entérine la contribution française prévoit ainsi pour 2010 une aide française à hauteur de 3,9 milliards d'euros.
Une austérité assurément critiquable.
Si nous avons voté le plan d'aide, mes collègues socialistes et moi-même regrettons que cette solidarité n'ait pas joué plus spontanément, et plus fortement. Le retard pris, les exigences d'ajustements douloureux ne manqueront pas d'avoir des conséquences critiquables, à commencer par le risque de jeter la Grèce dans un sillon de récession extrêmement long :
Ø le schéma d'austérité budgétaire mis en œuvre (réduisant les dépenses et augmentant les impôts) va affaiblir la demande interne : moins de revenus, plus d'impôts, cela veut dire moins de consommation, donc moins d'investissements des entreprises… qui elles-mêmes vont avoir moins de revenus et de salaires : le risque majeur, c'est celui d'un ajustement par la déflation, c'est-à-dire d'une déflation des salaires et des prix ! De fait, la paralysie de la décision des instances européennes plusieurs semaines, outre qu'elle rend le prix de l'intervention financière plus lourd, risque bien d'avoir un coût exorbitant pour les populations ;
Ø l'autre élément inacceptable, c'est le prix de l'intervention que l'on fait payer à la Grèce... et donc aux contribuables grecs, déjà exsangues ! Les prêts des pays d'Europe le sont à un taux de 5 % : c'est ce que cela va rapporter, par exemple, à la France. Sauf qu'actuellement, pour prêter ses plus de 3 milliards d'euros, la France va les emprunter sur les marchés à court terme... à 0,6 % ! Emprunter à 0,6 % pour reprêter à 5 % à plus pauvre que soit, c'est certes lui donner une aide mais c'est surtout lui en faire payer un prix abusif ! L'écart n'est ni moral ni raisonnable : les états prêteurs n'ont pas à se faire de tels profits sur le dos du peuple grec ! Réduire ce taux, ce serait réduire les douleurs de celui-ci.
L'illusion de la sortie de l'euro.
Au-delà du plan – qui n'empêchera pas le peuple grec d'être mis à rude épreuve – c'est malheureusement bien la question des politiques de coopération et de gouvernance économique de notre union monétaire et politique qui se pose de manière évidente !
Et à cet égard, c'est bien un manque d'Europe que met cette crise en avant, plutôt que trop d'Europe. Plus de coordination des politiques économiques et de meilleurs garde-fous budgétaires, avec des moyens renforcés de facilités financières automatiques en cas de dérapage, tel est le triptyque qui devrait être au cœur de la gouvernance de la zone euro. Ce n'est malheureusement pas ce qui a été mis en place et l'un des pays en paie aujourd'hui le prix.
Alors, voilà revenu le temps des semeurs de doutes et des contempteurs de l'euro ! Et d'aucuns de ressortir le discours que la Grèce devrait sortir de l'euro : triple sottise !
Ø D'abord parce que moralement, ce n'est rien d'autre qu'un comportement qui consisterait, sur un bateau, à jeter par dessus bord un passager malade, histoire que les autres puissent continuer leur voyage en toute tranquillité. Pas de ça chez nous ! T'es malade, dégage... C'est une méthode moyenâgeuse de gestion des crises, où l'on abandonnerait aux animaux errants le membre de la famille malade ! Cela n'est pas digne du monde moderne ni de l'identité européenne ! Ce serait, à coup sûr, le meilleur moyen de réactiver les nationalismes ! A quelques jours du 8 mai, ne l'oublions pas !
Ø Ensuite sur le plan économique, sortir de l'euro, outre que c'est techniquement et juridiquement long et complexe (transférer les réserves de change, pour les adosser à une nouvelle monnaie... à émettre), ne signifie rien d'autre que livrer la nouvelle monnaie – le drachme ? – à la loi des marchés et donc à la dévaluation : pertes de richesses pour les épargnants et appauvrissement des Grecs qui paieraient plus chers leurs importations, déséquilibre commercial, inflation importée… et risques d'une austérité sans doute plus sévère encore que celle mise en œuvre, pour éviter une spirale de dévaluations ! L'Europe en a tant souffert de ces politiques dévaluatives à répétition dans les années 70 et 80, et le prix payé en fut l'effondrement industriel et l'envolée du chômage. Faut-il recommencer ?
Ø Enfin, quand je vois que la sortie de l'euro de la Grèce est justement ce que demandent les économistes parmi les plus libéraux (cf. article de Jean-Jacques Rosa dans Le Monde du 5 mai) – lesquels n'ont jamais approuvé la construction européenne car ils plaident, eux, pour une loi du marché, sans freins ni règles au profit des plus forts ! – je me dis qu'un homme de gauche ne peut pas soutenir l'idée d'une sortie de l'euro.
Alors oui, voilà pourquoi, pour défendre l'Europe, il faut défendre l'euro et défendre la Grèce. Par solidarité, par souci d'efficacité aussi.