Je suis particulièrement attaché aux cérémonies de commémoration marquant la fin des conflits de notre histoire contemporaine.
J’ai, en effet, un infini respect pour toutes celles et ceux qui se sont battus pour la paix et notre liberté d’aujourd’hui. Ce 11 novembre, j’ai donc déposé avec émotion des gerbes de fleurs, comme je le fais tous les ans, dans les deux cimetières de la ville, puis j’ai pris la parole pour rappeler l’ampleur du désastre provoqué entre 1914 et 1918 : 4 ans de combats, 9 millions de morts.
Cette première guerre mondiale reste fascinante d’horreur, consternante de folie et continue d’inspirer auteurs et réalisateurs, comme ce long-métrage sorti cette semaine sur les écrans de cinéma, « Les fragments d’Antonin », ou comme le film dont on a beaucoup parlé ces dernières semaines, « Indigènes ».
Il est important que la production audiovisuelle puisse évoquer régulièrement ce drame humain car, si des paroles doivent être prononcées, chacun s’accorde à reconnaître que la force de l’image, dans notre société moderne, est incomparable.
S’ils sont lointains, les témoignages des combattants de la première guerre mondiale restent poignants : les tranchées, où furent versés des sangs de toutes les origines, sont funestement gravées dans notre mémoire collective comme un terrible symbole. La vie sous terre, au milieu des morts et des rats, avec cet incessant bruit d’obus qui crève les tympans, dans le froid et dans le noir, sans eau…
Une lettre d’un soldat que je lisais il y a peu évoquait ainsi les « épouvantables odeurs de putréfaction des cadavres », « la puanteur des grenades de soufre et de phosphore », « le feu des batteries » et les « états de désespoir » des soldats…
C’est ce que ces hommes surtout, ces femmes parfois, ont enduré.
Aujourd’hui, comme hier et comme demain, le devoir de mémoire doit s’exercer : nous devons nous souvenir et associer à ce souvenir tous les combattants qui ont défendu la paix et la liberté dans les autres conflits dans lesquels la France s’est engagée.
A cet égard, deux préoccupations sont à évoquer, deux maux d’actualité dans ce monde toujours dangereux, en équilibre toujours instable : le terrorisme et la menace nucléaire.
Le terrorisme, sous toutes ses formes et manifestations, constitue assurément l’une des menaces les plus graves pour la paix et la sécurité. Il tue des innocents et fragilise les Etats ; face à lui, il importe d’être déterminé.
On ne justifie pas le terrorisme. On ne transige pas avec le terrorisme. On le combat. Car aucun prétexte ne peut légitimer le recours à l’attentat terroriste. Les revendications nationales, politiques, religieuses, sociales, avancées par les terroristes pour justifier leurs crimes ne sont justifiables auprès d’aucun tribunal de l’Histoire. Car rien n’autorise jamais à prendre pour cibles des populations civiles, à attaquer lâchement des innocents.
Certes, vaincre le terrorisme prendra du temps, demande un effort constant de toute la communauté internationale. Contre les forces de haine déployées à travers le monde, liées par des réseaux occultes qui tirent parti des technologies modernes, abritées par des pays complices ou impuissants, alliées aux trafiquants de drogue et aux mafias, il nous faut serrer les rangs.
Les terroristes s’imaginent toujours que les démocraties sont lâches et velléitaires. Oui, nos démocraties sont lentes à la colère, elles préfèrent la paix à la guerre, elles débattent avant d’agir. Mais l’histoire démontre que lorsqu’elles sont attaquées dans ce qu’elles ont de plus précieux, leur liberté et leur sécurité, elles savent être combatives et efficaces, car un peuple souverain se bat toujours mieux qu’un peuple soumis.
Quant à la menace nucléaire, on a longtemps pensé que la dissuasion suffisait à protéger nos contrées. Ce fut le cas durant 50 ans : elle nous a préservé – parfois de peu ! – des ravages d’une troisième guerre mondiale. Mais plus personne aujourd’hui ne peut penser qu’il s’agisse d’une protection suffisante : les récents essais nord-coréens ont mis en lumière cette évidence.
Chacun y pense : la dissémination nucléaire peut induire des comportements criminels qui, alliés au terrorisme, peuvent déséquilibrer le monde.
Et ce n’est pas négligeable ! Car quoique peu probable, le risque d'attentat nucléaire ne peut être écarté.
Bien sûr, il est difficilement envisageable qu'un réseau terroriste puisse se doter d'armes nucléaires sans le soutien d'un pays déjà doté. Mais la vigilance et la prudence restent de mise, plus que jamais. N’oublions jamais qu’il ne manque pas de forces cachées, ou d’intérêts en embuscade pour mettre à mal l’équilibre du monde, et tirer des situations de crise, de substantiels profits financiers.
Le risque géopolitique de la course à l’armement nucléaire a apparemment fortement chuté depuis 25 ans. L'Afrique du Sud, l'Argentine et le Brésil ont stoppé leurs programmes. Les trois républiques de l'ex-URSS, l'Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan, ont restitué leur arsenal à la Russie, et certains pays comme la Libye ou l'Irak ont abandonné la partie sous la pression internationale. En revanche, les experts estiment crédible le détournement terroriste de matériaux radioactifs. Il ne s'agirait pas alors de bombes mais, on parle en ce cas d'armes « sales ».
Hélas, je crains que le combat pour la paix soit, hélas, toujours un combat d’avenir. Et à notre échelle, nous autres Français sommes engagés dans ce combat : nos soldats se trouvent en Afghanistan, au Kosovo et ailleurs dans les Balkans, en Côte d’Ivoire et ailleurs en Afrique, au Liban… Ils méritent notre hommage et leur dire combien leur mission est importante, décisive. Combien ils sont utiles, combien ils portent l’image de notre pays, son drapeau et ses valeurs. Car si la paix est difficile à construire, bâtir un monde plus juste, plus solidaire, plus humain est une nécessité.
C’est pour ce monde–là que les soldats de la guerre 14-18 se sont battus ; c’est pour ce monde-là que nous nous battons aujourd’hui, à notre manière, afin que les discours intolérants, les tentations de repli sur soi et de désignation de boucs-émissaires cristallisant tous les maux de notre société ne trouvent plus d’écho, particulièrement lors des consultations électorales.
En Europe, cela existe ; pour l’Europe, c’est un défi ! Près de chez nous, en Flandre, cela existe, chez nous aussi. Et cela mine, cela gangrène… les quartiers, les villes, les campagnes aussi, nos démocraties surtout ! Et la démocratie, c’est chacun de nous, c’est nous tous ! La menace concerne tout le monde !
Car enfin, qui peut oublier que lutter contre la xénophobie, le racisme, c’est se souvenir que le rejet de l’étranger, parce que sa couleur de peau, sa culture, sa religion ou tout simplement sa nationalité étaient différentes, a fait des millions de morts au XXème siècle, et qu’il continue à tuer aujourd’hui ?
Comme le disait Albert EINSTEIN, je crains que « les amères leçons du passé doivent être réapprises sans cesse ».
Alors oui, commémorons, déposons des gerbes, témoignons, débattons, rappelons, rappelons les horreurs de la guerre, rappelons les longues listes de morts, ces jeunes trop vite disparus, fauchés trop tôt dans leur vie, rappelons les désastres et les traumatismes, rappelons les « gueules cassées » et rappelons les peurs, les souffrances des combattants car cette histoire est épouvantable, mais elle est vraie, terriblement vraie !
Il ne faut pas la cacher ; elle doit porter témoignage aux générations futures, à nos enfants.
Du plus profond de moi-même, je voudrais croire que l’épouvante de la guerre, de toutes les guerres, puisse nourrir à jamais l’amour de la paix. Je n’ai pas d’espérance plus grande, plus forte. Comme je n’ai pas de conviction plus grande, plus forte que celle qu’exprimait un auteur qui s’appelle Le Bailly et qui écrivait : « Le plus grand de tous les bienfaits, c’est la paix ».