Le 1er Mai n’est pas n’importe quel jour. C’est un jour important, pour le monde du travail, ici dans notre agglomération, dans notre pays mais aussi sur toute la planète. Partout il est le souvenir de luttes, de manifestations pour la défense des droits des travailleurs, partout il est le symbole du droit du travail et des règles sociales qui préservent, qui protègent, qui soutiennent celles et ceux qui n’ont que leurs bras, leur créativité, leur labeur pour seule force de travail.
Alors, bien sûr, pour moi ce n’est pas un jour comme les autres. D’abord, parce que j’ai eu le plaisir de présider la cérémonie de remise des médailles du travail au CSE ; ensuite parce que ce 1er mai 2006 est sans doute particulièrement important.
En effet, en cette année 2006, dans le contexte social et politique qui est le sien, après les décisions prises de régression sociale, après les tensions urbaines, après plus de 2 mois de volumineuses manifestations de rues, et alors même que la pauvreté n’a jamais autant progressé dans notre pays que depuis 2003, cette année 2006 ne peut pas ne pas nous rappeler notre passé.
Je n’ai pas le culte des dates anniversaires. Mais, regarder derrière nous, regarder d’où nous venons, aide souvent à comprendre où nous en sommes.
En 1906, il y a un siècle, le 10 mars se produisit à Courrières, dans le Pas-de-Calais, aux petites heures du matin, l’une des catastrophes les plus meurtrières de toute l’histoire mondiale des mines : 1 100 morts ! Cent ans plus tard, nous devons nous souvenir de toutes ces victimes, de leurs familles et de leur douleur. Aujourd’hui encore, nous les avons en mémoire, ces mineurs qui ont perdu leur vie pour le travail.
Mais, 1906, c’est aussi pour la 1ère fois depuis la République, l’institution par Georges Clémenceau, par un décret du 25 Avril, d’un Ministère du Travail et de la prévoyance sociale. Il aura fort à faire, un siècle durant.
Date-clé dans l’histoire des avancées sociales de ce pays, 1936 !
Il y a tout juste 70 ans, par les élections législatives des 26 avril et 3 mai, le Front Populaire de Léon Blum arrive au pouvoir. Un vent d’espérance, de liberté traverse le monde ouvrier, en grève pour conforter ses droits, qui demande à être simplement respecté, reconnu, et qu’à travers une certaine presse, une part de la bourgeoisie qualifie pourtant de « salopards en casquette ». Oui, la tension sociale est vive, la lutte des classes est forte, mais la vie du peuple va changer ! Ici aussi, ici surtout…
Aux Accords Matignon du 7 juin succèdent l’établissement de contrats collectifs de travail, l’instauration de délégués du personnel, les lois sur les 40 heures et les deux semaines de congés payés !
A ces premiers congés payés qui voient, de toute notre agglomération, partir des trains entiers pour convoyer des familles wattrelosiennes, roubaisiennes, vers la mer !
N’oublions pas ces moments-là, si chèrement acquis par nos anciens. Voilà pourquoi, pour qu’on s’en souvienne, lors de la cérémonie des médailles du travail ce 1er mai, j’ai demandé que, par des panneaux disposés dans la galerie à l’entrée de la salle du CSE, des coupures de presse d’il y a 70 ans rappellent ce que fut cette période.
Autre date importante, celle de nouvelles avancées pour les ouvriers : 1946. Une nouvelle Constitution, avec un préambule qui reconnaît le droit au travail ; c’est surtout la naissance de la Sécurité Sociale, sa généralisation à toute la population, l’extension des allocations familiales, la mise en place des branches accident du travail, mais aussi maladie et vieillesse. La France était épuisée, déchirée par 5 années de guerre, mais pour redémarrer, elle se dotait d’une législation sociale forte, protectrice pour ses salariés et sa population, au cœur de ce qu’on appellera bien plus tard, « notre » modèle social français.
Et ce n’est pas fini avec les millésimes en « 6 », puisque dix ans plus tard, le 27 mars 1956, le gouvernement de Front Républicain de Guy Mollet ajoute une semaine supplémentaire de vacances aux salariés : trois semaines de congés pays, c’était il y a 50 ans, à peine !
C’était une mesure économique, c’était une mesure sociale.
25 ans plus tard, à mi-chemin entre 1956 et maintenant, on est en 1981. D’autres mesures sociales restent dans les mémoires, celles décidées par le gouvernement de Pierre Mauroy, nommé par François Mitterrand : la retraite à 60 ans, la 5ème semaine de congés payés, les 39 heures ou les lois Auroux sur les relations sociales dans l’entreprise et les droits des salariés.
Et oui, ce n’est pas si vieux que cela qu’on a codifié, par la loi, l’obligation d’informer le comité d’entreprise de la gestion de l’entreprise, ou qu’a été donné aux salariés le droit de s’exprimer sur leurs conditions de travail…
Alors, pourquoi est-ce que j’insiste sur ces dates, sur le cheminement de ces conquêtes sociales ? Pour 3 raisons :
. d’abord pour expliquer que précisément le droit social s’est construit progressivement, par couches successives ; et que les avancées sociales, qui se sont additionnées lentement les unes aux autres au cours du siècle écoulé, l’ont été bien sûr par des combats politiques, mais aussi par des revendications sociales que nos aînés, nos parents, grands-parents et arrière-grands-parents ont porté de leur force et de leurs espérances.
Ce sont eux qui nous ont légué ce « modèle social » que j’évoquais ci-dessus.
. 2ème raison de rappeler l’histoire : c’est que justement, ce modèle fait d’acquis sociaux, ce droit social qui s’est construit année après année est un acquis fragile.
. or, et c’est la 3ème raison, cet acquis est aujourd’hui plus que jamais menacé. Au cœur des réformes libérales que le pouvoir politique cherche, ou a cherché, à imposer ces derniers temps, avec la précarisation accrue des salariés que l’on développe, avec l’allègement toujours plus grand des motivations et des procédures du licenciement que, çà et là, on veut promouvoir, eh bien, c’est un démantèlement méthodique, et profond, de notre droit social, cet acquis fragile que je décrivais, qui est en train de se réaliser !
Car, quand on crée, avec le Contrat Nouvelle Embauche, le CNE, ou avec feu–le Contrat Première Embauche, le CPE, des contrats de travail de courte durée, que l’employeur peut interrompre à tout moment, qu’est-ce donc sinon la fragilisation du contrat de travail ? Qu’est-ce donc sinon la fin du Contrat à Durée Indéterminée ? La règle, cela deviendra très vite le contrat précaire, ce ne sera plus l’emploi durable ! Très vite, cela en sera fini avec le contrat stable dans l’entreprise.
Et si les salariés deviennent plus précaires, s’ils restent moins longtemps dans l’entreprise, s’ils peuvent en être exclus à tout moment, que deviendront les relations sociales ? Que deviendront les institutions représentatives du personnel, les délégués du personnel, les Comités d’établissement ou d’entreprise ? Quel salarié s’engagera alors pour défendre ses collègues ?
Et nous revoilà dans l’actualité de 2006 ! Car ce qui se passe, c’est que nos décideurs gouvernementaux sont en train de tirer sur le fil d’une pelote… dont on connaît ce qu’il adviendra : il ne restera, au final, plus rien des règles sociales d’hier !
Disons-le tout net, et je le crois sincèrement : les tentations gouvernementales de mises en place d’une précarisation généralisée des contrats de travail comportent en effet en germes pour demain les risques inexorables :
- de dégradation du fonctionnement des institutions de défense des salariés dans l’entreprise, jusqu’à sans doute leur disparition ;
- et donc, d’un profond « déséquilibrage » des relations entre le capital et le travail dans le rapport de production ;
- et donc, et j’ose le mot, marxiste s’il en est, mais c’est le seul mot qui s’impose, derrière ce que le pouvoir politique de ce pays veut mettre en place, c’est un renforcement de l’exploitation de ceux qui n’ont que leur force de travail pour vivre, les salariés !
Plus exploités, travaillant davantage, moins stables, moins payés, et bientôt plus pauvres ! Voilà ce que l’on nous prépare…
C’est l’analyse que je fais de ces réformes que parfois sur un ton innocent, badin, sous couvert de « flexibilité » ou de stimulation de la création d’emplois, MM. Raffarin puis de Villepin nous présentent et cherchent à imposer, projet de loi après projet de loi.
C’est l’analyse qu’avec gravité, en ce 1er Mai 2006, je veux exprimer par ces quelques propos.
Oui, je le crois, précariser le contrat de travail, à coup de CNE, de CPE, sans chercher à sécuriser les parcours professionnels, c’est désagréger à terme le Code du Travail.
C’est 1936, et ses réformes qu’on balaie, c’est Léon Blum qu’on assassine, ce sont nos aînés que l’on bafoue !
Voilà pourquoi l’histoire est importante. Elle nous rappelle d’où notre mode de vie provient, comment il s’est construit. Elle nous aide à lire, à comprendre ce qui se passe autour de nous. Elle nous remémore que les luttes sont encore fraîches, et qu’en économie de marché – car il n’en existe aucune autre – le travail ne doit pas baisser sa garde, sinon c’est le capital qui en profite !… au détriment des salariés.
Soyons donc vigilants, combatifs, sachons-donc nous mobiliser quand c’est nécessaire, soyons fermes sur nos valeurs, sachons prolonger le mouvement, le progrès social que les travailleurs du XXème siècle ont mis en marche, évitons-lui de reculer.
Sachons aussi, ô combien, rappeler les droits imprescriptibles du travailleur : l’emploi, la formation, la sécurisation des parcours, la juste rémunération.
En soi, c’est un choix de société ! C’est le mien. Un choix de fidélité, un choix de combativité.