« On a tous dans le cœur quelque chose de la Lainière… » Ici, à Wattrelos, c'est évident.
C'est comme cela que je commence mon propos, au terme de cette passionnante exposition organisée par plusieurs anciens de cette grande entreprise, fleuron de l'industrie locale, française et même internationale. N'a-t-elle pas accueilli, cette magnifique entreprise, la Reine d'Angleterre, puis Nikita Kroutchev, en 1957 et en 1961 ? Quand l'industrie française voulait montrer sa grandeur, où envoyait-elle ses hôtes de marque ? A La Lainière !
C'est qu'ici, à Wattrelos, à Roubaix, elle en a avalé des femmes, des hommes, des vies de dur labeur, des sueurs et des larmes. Par milliers, par dizaines de milliers. L'entreprise aurait eu 100 ans cette année. C'est pour cela que quelques anciens, emmenés par Georges Dubois et Francis Bohée, ont conçu le principe de cette exposition à la salle Amédée-Prouvost, se sont battus pour la faire financer (j'ai d'ailleurs apporté mon soutien personnel à titre parlementaire, comme j'ai défendu la demande de financement auprès de la Communauté urbaine), et surtout l'ont organisé, en récupérant, de ci-de là, une somme d'objets qui donnent à cette exposition une richesse, une densité tout à fait remarquables.
L'histoire du groupe Prouvost, les lignées familiales (Carole Prouvost, petite-fille du fondateur de La Lainière, Jean Prouvost, est d'ailleurs présente - ph. ci-contre), la constitution de l'empire, ses excroissances dans le monde de la presse, les usines, les produits fabriqués, mais aussi les outils, les métiers, les matériels des laboratoires de recherche, de contrôle… et surtout les femmes, les hommes, les photos des ateliers, des médaillés du travail, des dirigeants, les conditions de travail, les carnets de travail…
Et puis tout l'environnement, car La Lainière, c'était une « ville dans la ville », comme je le rappelle, avec coopérative, crèche… C'était aussi un rayonnement dans la ville toute entière, avec le sport (et le légendaire CORT, avec ses champions), ou avec l'action sociale (via la maison de l'enfance du quartier, inaugurée en grandes pompes par Pierre Mendès-France, alors Président du Conseil, en présence de Victor Provo, maire de Roubaix, et d'Albert D'Hondt, maire de Wattrelos : extraordinaires, les photos de cette manifestation !), ou encore avec le logement, nécessaire pour les salariés de l'usine et leurs familles, et que le CIL, créé à cet effet, entreprend progressivement de construire, modifiant radicalement la physionomie de Wattrelos et la vie de ces quartiers.
100 ans d'histoire, 100 ans de tant d'histoires. Des vies passées, dont on se souvient de la dureté, des matins froids, des ateliers harassants… mais aussi des copines, des copains, des amitiés, des moments forts… Tout cela, les nombreux visiteurs de ce soir s'en souviennent, quel qu'ait été leur grade, leur fonction, leur atelier. Et devant toutes ces photos, affiches, matériels, bobines de fil ou pelotes de laine, l'émotion est palpable. Elle est partout. Dès l'inauguration, je la sens, au moment où on me demande de couper le ruban, avec les duettistes Georges et Francis, mais aussi avec mon complice, pas très loin, Jean-Pierre Balduyck, ancien maire de Tourcoing, mais surtout ancien salarié du textile et chargé par Martine Aubry d'une mission de préfiguration d'un musée du textile sur le territoire métropolitain.
L'émotion, je la sens aussi m'étreindre lorsqu'il m'est demandé de prendre la parole. Alors, moi aussi, je reviens sur La Lainière et, des tranches de vie, la mienne. Celle d'un enfant, dans les veines de qui coule le sang d'un père qui – comme tant de Wattrelosiennes et de Wattrelosiens des générations durant – a travaillé à La Lainière et qui m'en parla tant. Celle d'un jeune homme qui rencontra la famille Prouvost lors de fêtes à la Maison de l'Enfance. Celle d'un jeune cadre de la Banque de France de Roubaix qui a vécu de près les conséquences financières de la guerre Derveloy-Seydoux de 1987. Celle d'un jeune élu, aux côtés des manifestants lors de la crise de 1996, celui qui a accompagné ensuite la reprise par Jacques Chapurlat. Celle enfin, de la fin, de ces instants terribles de janvier 2000, où, par delà les photos souvenirs, beaucoup ont quitté l'usine alors, les larmes aux yeux. J'y étais ce jour-là, avec elles, avec eux, et mes yeux n'ont pas résisté non plus…
Alors oui, La Lainière fait partie de mon patrimoine génétique, de ma vie, comme de celle de tous ceux qui sont là ce soir. Voilà pourquoi, l'horloge, la célèbre horloge, du couloir du même nom, j'ai tout fait en 2000 pour la récupérer ! Elle est au musée de Wattrelos !
Voilà pourquoi la grande carte du monde, que j'ai récupérée dans un bureau de La Lainière en cours de démolition, a été accrochée dans le couloir qui mène au bureau du maire de Wattrelos et qu'elle y restera… au moins tant que je serai en fonction.
Voilà pourquoi enfin, je suis heureux d'annoncer ce soir que Martine Aubry (que je viens d'avoir au téléphone), présidente de la Communauté urbaine, a décidé de sauvegarder de la démolition un des bâtiments (dont les deux tours sont caractéristiques !) pour préserver le souvenir de La Lainière et son architecture très typée (ph. ci-contre). C'est une excellente nouvelle que j'espérais, comme beaucoup des présents : les applaudissements qui accueillent l'information en attestent !
Car, je le dis en conclusion, n'oublions pas que 75 à 80 % des bâtiments de La Lainière de Roubaix sont sur le territoire de Wattrelos. De fait, c'est La Lainière... de Wattrelos ce soir, pour tous les visiteurs !