Madame, Monsieur les Conseillers Départementaux,
Chers Collègues, Mesdames et Messieurs,
Cher(e)s Médaillé(e)s,
Si c’est au début des années 40 que le 1er mai devient en France férié, c’est en 1947 sur la proposition de Daniel Mayer que le 1er Mai devient, jour chômé et payé dans le Code du Travail, et dénommé officiellement « Fête du Travail » ; son symbole en est le muguet qui a remplacé quelques années auparavant l’églantine rouge. Cette journée du 1er Mai est, à Wattrelos, d’abord pour vous Cher(e)s médaillé(e)s. C’est une tradition, instaurée par mes prédécesseurs, que de remettre officiellement, dans une cérémonie républicaine la médaille du travail aux salariés que la République a distingué pour leurs années de labeur.
● Deux promotions sont ce matin mises à l’honneur : l’une du 14 juillet 2022, la seconde du 1er janvier 2023. Plus précisément, Mesdames et Messieurs, dans notre ville ce sont ainsi 120 femmes et hommes dont les années de travail sont mises en avant, 19 Grand Or (pour 40 années de travail), 28 Or (pour 35 ans), 21 Vermeil (pour 30 ans) et 52 (pour 20 années).
Ces années de travail sont d’autant plus impressionnantes quand on les additionne : ensemble nos 120 Médaillé(e)s de la promotion 2022/2023 représentent un cumul de 3 410 années de travail. Plus de 3 millénaires !
Si on essaie de remonter le temps, pour bien mesurer ce que ce travail mis bout à bout représente, on se situe 1 500 ans avant Jésus-Christ, avant les Romains, les Gaulois… il n’y a alors sur notre pays que quelques peuplades celtes, sans organisation, sans structures… C’est dire si cela nous emmène loin.
Alors oui, cela vaut bien une cérémonie !
Pour vous. Pour vous mettre à l’honneur, pour mettre à l’honneur votre travail.
Car ce diplôme que je vais vous remettre, cette médaille que je vais épingler dans un instant à votre revers, ce n’est pas qu’une feuille de papier, qu’un morceau de tissu et un peu de métal, c’est bien plus que cela.
C’est vous. C’est votre vie.
C’est le temps, ce sont les années qui passent.
Ce sont des journées de travail où vous vous êtes levés au petit matin pour rejoindre votre poste, votre atelier,votre usine, quelque soit le temps, ce sont ces soirées où vous rentrez chez vous, fatigués, rarement insouciants, souvent préoccupés par le travail qui reste à accomplir, celui du lendemain, ou par l’autre vie qui commence, les courses, les enfants à aller chercher ou à accompagner dans leurs études, la maison à s’occuper, la vie de famille à gérer. Ce sont des nuits jamais assez longues, des loisirs jamais assez nombeux, des vacances toujours trop courtes ; ce sont sans doute aussi des tensions, des querelles au travail, parfois un ou des licenciements, un ou des reclassements pas toujours faciles, car tout au long d’une vie de travail tout cela se vit, voire se subit !
Mais ces années ce furent aussi, je l’espère pour vous, d’autres moments, d’autres souvenirs. Cet emploi trouvé, exercé et maintenu alors qu’alentour le chômage progressait ; c’est le déroulement de carrière, ce métier accompli avec compétences, cet atelier, ce service, cette usine où les collègues sont aussi devenus des ami(e)s, ces conversations au café, à la pause, ou à la sortie, ces liens qui se nouent qui, comme l’on dit « font société », donnent goût et sens à la vie.
Notre travail, en nombre de semaines, de jours, d’heures dans l’année, c’est une part très importante voire dominante dans notre vie. Voilà pourquoi, Chers Médaillé(e)s soyez fier(e)s de votre médaille, arborez-là : elle raconte votre labeur, vos savoir-faire, votre contribution à la production de biens et de services qui nous sont indispensables à tous pour notre quotidien. Elle raconte votre vie ces 20, 30, 35 ou 40 années qui viennent de s’écouler.
Bravo à vous toutes et tous, de tout cœur !
Pour certains la fin de carrière approche, pour d’autres au contraire ce n’est pas encore une perspective prochaine : alors je vous souhaite une bonne continuation, et de nouvelles réussites.
● Depuis pas mal d’années, cette cérémonie était pour le maire, mon prédécesseur comme moi-même, l’occasion de parler de la principale préoccupation du monde du travail, le chômage, et donc l’emploi.
Et c’était bien logique, car depuis le choc pétrolier de 1973, l’augmentation du chômage dans notre pays n’a jamais cessé : 1 million, 2 millions, 3 millions de demandeurs d’emploi, et davantage même en tenant compte du temps partiel. Crises multiples, dépôts de bilan, licenciements, désindustrialisation nous ont tous marqués, ici surtout à Wattrelos où nul n’a oublié toutes ces grandes entreprises textiles où ont travaillé nos grands-parents et parents, sans doute aussi certains d’entre vous, et qui ont brutalement disparu juste au début des années 2000, ou encore les grandes sociétés de vente par correspondance qu’on croyait invulnérables et qui ont subi des saignées sévères.
Heureusement, ce contexte a un peu changé.
Avec la croissance économique de ces dernières années, et malgré la crise sanitaire et ses conséquences, le chômage a baissé ; l’emploi a bien tenu avec – hors période Covid – des créations nettes d’emploi importantes :
+ 335 000 emplois supplémentaires dans le secteur privé en 2022. Fin 2022, l’emploi salarié privé est supérieur de + 5,6 % à son niveau de fin 2019 : cela plus précisément veut dire qu’à la fin 2022 il y a 1,1 million d’emplois de plus que 3 ans auparavant dans le secteur privé, 1,6 million de 2018 à 2022.
Conséquence de ces créations, avec une diminution encore de - 1 ;2 % au 1er trimestre 2023, et donc une baisse de 650 000 du nombre de demandeurs d’emploi par exemple depuis le début 2019, le taux de chômage a fortement diminué ; il est ramené à près de 7 % (7,2 % exactement) alors qu’il avoisinait encore les 10/11 % il n’y a pas si longtemps. Economistes et gouvernants se mettent non pas à rêver, mais à parler ouvertement de retour au « plein emploi » : un chômage à 5 % de la population active totale, oui, c’est devenu possible, sauf bien sûr évènement financier, militaire ou sanitaire exceptionnel.
A Wattrelos aussi cette évolution est perceptible. Entre septembre 2017 et septembre 2022, derniers chiffres connus, le nombre de demandeurs d’emploi a diminué de 720 personnes, soit une baisse de - 23 %, le recul est de - 25 % pour les jeunes de moins de 25 ans, et de - 24 % pour les demandeurs de longue durée. Ces chiffres bien plus agréables à lire que ceux que malheureusement je citais il y a 10 ans, sont évidemment le fruit des politiques économiques nationales, mais aussi du contexte local. Car je ne peux manquer d’observer que si la baisse du chômage a été de - 18 % nationalement de 2017 à 2022, elle aura été de - 25 % à Wattrelos sur la même période ; 7 points de différence, 7 points de mieux, ici à Wattrelos, qui peuvent s’expliquer par les investissements des entreprises wattrelosiennes, mais aussi par notre mobilisation avec la création de nos 70 hectares de parcs d’activité, la reconquête de nos 90 hectares de friches industrielles, notre combat pour le maintien de la Redoute et les nouveaux projets économiques sur son site et l’effort fait pour l’accueil de nouvelles entreprises.
Oh, il reste encore de la route à faire, car en ce 1er Mai je ne veux pas oublier les 2470 personnes encore en recherche d’emploi et notamment les 1100 personnes depuis plus de 2 ans.
Il n’est pas question de relâcher nos efforts, et nous continuons à rechercher de nouveaux investisseurs, à négocier de nouvelles implantations, et à aider les entreprises déjà présentes à Wattrelos à se développer et à accroître leur capacité de production.
En 2023, de nouvelles entreprises vont, enfin, s’installer sur les sites de la Lainière et du Peignage, et ces créations sur ces sites historiques seront par nature le symbole que Wattrelos a tourné la page de son passé, et a beaucoup bossé pour se reconstruire sur les cendres des industries d’hier une nouvelle économie pour aujourd’hui et pour demain, pour nous-même et nos enfants.
Car de l’emploi il en faut, il en faut encore !
J’attends beaucoup de la transformation annoncée de Pôle Emploi en France Travail, pour que tous les acteurs, Pôle Emploi, Missions locales, organismes et financeurs de formation, permettent d’aller plus loin, de réussir à insérer ou à réinsérer au travail celles et ceux qui en sont le plus éloignés.
● Mais, en cette journée de « Fête du Travail » 2023, je pense qu’il y a une autre ambition que le seul accès à l’emploi qui s’engage pour les années à venir : c’est le travail lui-même.
L’emploi des séniors, les inégalités qui touchent les femmes, le lien au travail, tout ce qui touche la place du travail dans notre société, comme de la vie de chacun, ce sont là autant de sujets qui s’inscrivent dans l’actualité.
Certains s’épanouissent dans leur travail, d’autres s’y consument. S’il est parfois un plaisir, le travail est surtout une nécessité pour vivre et faire vivre sa famille. Mais il n’a pas pour autant besoin d’être une souffrance. Qualité du travail, conditions de travail, formation, déroulement de carrière, progression salariale dans la carrière, semaine de 4 jours sont autant de thèmes qu’on aurait grand tort de négliger. Et dans notre société demain, s’il est une obligation morale, économique et sociétale, ce sera de faire du « bien-être au travail » un projet de société, la clé du progrès, la définition même de tout progrès.
Je suis persuadé que le temps n’est pas loin où resurgiront les débats qu’on a bien connus sur la durée hebdomadaire du travail, du style les 36 heures en 4 jours, ou sur le télétravail (déjà 5 fois plus important qu’en 2017) et ses conditions en évitant de creuser les inégalités, ou sur l’attractivité des métiers manuels (la redynamisation des filières et lycées professionnels est de cette démarche), ou encore sur l’attractivité des métiers publics.
Il y a deux mois une enquête de l’Institut Montaigne sur « les Français au travail » faisait apparaître que plus des ¾ des plus de 5 000 actifs interrogés (77 % exactement) se disent satisfaits de leur travail. Mais :
- 1 sondé sur 2 se dit insatisfait de sa rémunération
- 2 sondés sur 5 ne travaillent jamais le week-end ou après 20 heures
- 1 sondé sur 3 voudrait, je cite, « travailler plus pour gagner plus », surtout chez les plus faibles revenus, soit le double (15 % exactement) de ceux qui seraient prêts « à travailler moins quitte à gagner moins »
- enfin, 41 % des actifs souhaitent des « conditions de travail aménagées quelques années avant de prendre leur retraite ».
Chacun le sait, chacun le comprend bien : au-delà de la question délicate qui questionne légitimement tous les travailleurs d’Europe, et ô combien en France, sur l’âge de la fin du travail, et donc de l’accès à la retraite, le travail lui-même interroge : quel travail pour demain, dans quelles conditions, pour qui, comment ? Il y a matière à réflexion, à dialogue, à projet. D’autant plus que pour les années qui viennent, nous aurons collectivement et individuellement trois grands défis à affronter.
1/ D’abord le vieillissement : ce n’est pas qu’un enjeu de très long terme. Dans 10 ans à peine, la population des plus de 60 ans aura augmenté de 2,7 millions de personnes ; les plus de 60 ans seront 14 % plus nombreux qu’aujourd’hui. Or 10 ans, c’est demain !
Face à ce vieillissement, il n’y a pas que la seule question du financement des retraites qui se pose donc, non plus que celui de la dépendance qui résultera de ce vieillissement ; c’est toute une économie à développer et une société à adapter : des logements pour héberger les personnes, des professionnels pour les accompagner, les soigner, il faudra des filères de formation pour ces métiers et donner les bonnes compétences.
Ce seront souvent des métiers où l’on touche à l’humain, qui ne sont pas faciles, et pour qu’ils soient attractifs, ils auront à être revalorisés. Et, si l’on travaille plus longtemps, il faut réfléchir à la formation vraiment tout au long de la vie.
2/ Autre grand défi, le réchauffement climatique. D’ici la fin du siècle, très officiellement, les prévisions tablent sur un réchauffement de 2 à 4 °C ! C’est toute la société qui devra s’adapter à ce changement majeur que ce soit celui des processus de production ou des conditions de travail. A 4 °C, ça sera 5 fois plus de sécheresse, des canicules beaucoup plus intenses, mais aussi 1m20 d’augmentation de montée des eaux : on ne produira plus aux mêmes lieux, que ce soit pour l’agriculture ou l’industrie, et on ne produira plus dans les mêmes conditions, voire plus aux mêmes heures. Refuser de voir cela serait un déni irresponsable.
3/ Enfin, 3ème grand défi : la dette ! Avec les mesures pour faire face à la crise du Covid, que ce soit pour les entreprises et les salariés, afin de soutenir l’activité et les revenus, ou avec les boucliers tarifaires face aux prix de l’énergie, ou encore les plans de relance, la dette de l’Etat, et donc des Français, a explosé, augmentant de + 25 % en 3 ans, puisqu’elle est passée de 1 823 Mds € fin 2019 à 2 280 Mds € fin 2022 : 450 Mds € de plus en 3 ans !
Or, cette dette a évidemment un coût : avec les taux d’intérêt bas de ces dernières années, la charge d’intérêt restait contenue : 37,1 Mds € en 2021. Mais avec l’inflation et le durcissement des politiques monétaires, les taux remontent, et donc l’Etat doit dépenser davantage pour payer les intérêts de sa dette : ceux-ci ont déjà été de 50,7 Mds € en 2022, et la prévision serait de 70 Mds € en 2027 !
70 Mds €, c’est autant que le budget de l’Education nationale, c’est
10 Mds € de plus que le budget des Armées, et le double du budget du Ministère de l’Intérieur ! C’est une sacrée charge, rien que pour les intérêts, et elle est devant nous : là aussi, ne pas en avoir conscience, c’est du déni de réalité.
Et voilà pourquoi, c’est à l’aune de ce défi, de cette facture collective qui inexorablement sera aussi individuelle, que doit se comprendre ce que les économistes estiment nécessaire, et résument par la formule « travailler plus nombreux et plus longtemps », évidemment pour produire plus, augmenter la croissance, donc les revenus, donc les recettes fiscales, et donc les ressources pour acquitter plus facilement le poids de la dette.
La si délicate question des retraites s’intègre bien sûr à cette problématique, mais aussi la lutte contre le chômage, l’augmentation des taux d’activité et la recherche du plein-emploi.
Trois défis donc. Et, comme on le voit, à travers ces trois défis le travail va connaître des mutations importantes dans les années prochaines. Si nous travaillerons plus nombreux, nous travaillerons aussi différemment d’hier, sur des fabrications différentes, avec des métiers différents, sur des lieux sans doute et avec des horaires différents, avec d’autres organisations du travail où les nouvelles technologies, l’intelligence artificielle auront une place plus grande, et où la pénibilité, nous l’espérons tous, aura une place plus réduite.
Ce travail différent peut aussi, et cela c’est mon espérance personnelle, le projet politique auquel j’aspire et que je veux défendre, ce travail de demain devra être : un travail mieux rémunéré sur la base d’un juste partage pour tous de la valeur ajoutée produite par tous ; un travail qui favorise davantage, par les moyens et services modernes, la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle ; enfin un travail qui oublie toute discrimination et où chacun puisse accéder, et progresser dans sa carrière, sur la seule base de ses talents et de ses compétences.
Suis-je un utopiste, un doux rêveur ? Je ne le pense pas, car je crois que nous n’imaginons pas encore bien toute l’ampleur des changements que le monde qui est devant nous va produire !
Tout au long des années 80 à 2000 la plaie de notre société était celle du « chômage massif » ; si aujourd’hui, nous sommes proches de l’emploi restauré, le temps est venu du travail rénové, en mettant les capacités de la modernité et l’imagination d’un dialogue social renoué au service de cette rénovation.
Ces derniers mois, le monde du travail comme la société toute entière ont connu des secousses. Elles ont blessé parfois, bousculé souvent.
Aussi en ce jour de la Fête du Travail, j’en appelle à une bonne politique du travail, c’est-à-dire à une politique qui :
- garantit aux jeunes générations un avenir serein, qui intègre l’enjeu environnemental,
- assure aux salariés un niveau de vie correct, assis sur une répartition équitable de la valeur ajoutée, et à cet égard l’accord national récent va dans le bon sens,
- confère aux plus anciens l’accès à une retraite digne : c’est l’honneur d’une société moderne en veillant à ne pas opposer les générations, car un vieux est toujours une personne qui a été jeune, et un jeune est appelé à devenir vieux.
Mesdames, Messieurs, très Bonne Fête du Travail à toutes et tous, et, Chèr(e)s Médaillé(e), encore toutes nos félicitations !